Vendredi soir, 18h30.

J'étais crevée, vraiment. J'avais encore passée une journée éreintante au journal à cause de Sacha, et comme c'était la fin de semaine, j'avais une accumulation d'heures de tâches ingrates impressionnante à mon actif. Pour couronner le tout, j'étais sorti du travail à l'heure de pointe, et j'étais coincée dans les bouchons depuis un petit moment déjà. Je sais que j'avais pris une avenue fréquentée, mais je n'avais aucune envie de cuisiner, il fallait que j'aille chercher quelque chose à emporter pour mon repas solitaire du vendredi soir. Je roulais donc au pas, pour atteindre le fast food, n'ayant même plus la force de m'énerver. La voiture devant moi avança, et je la suivit, ce qui me fit stationner momentanément devant le Flam Grill House. Instinctivement, un petit sentiment de mal aise m'envahit. Être devant ce restaurant me faisait forcément penser à une personne. Et il se trouvait que j'évitais plus ou moins subtilement cette personne depuis quelques temps. Non pas que j'ai quelque chose à lui reprocher, mais je ne me sentais pas capable de lui faire face pour le moment. J'étais la seule fautive. La raison de cette appréhension était simple : je n'arrivais pas à lui mentir, je détestais ça même, et pourtant, j'y étais obligée... Je secouai la tête, car de toute façon, quel était le pourcentage de chances que je le croise ce soir, franchement ?

La file se remit en marche, et je pus avancer à nouveau, pour enfin rejoindre le fast food. Le drive in affichait une énorme file de voitures, je choisi donc à contrecœur d'entrer dans le restaurant. Je garai ma voiture sur le parking, et sortit, me sentant agressée par la lumière des néons environnant, dont celui du Flam Grill House, qui me rappelait de manière éclatante ma lâcheté récente. Je fis quelques pas en direction du Dairy Queen, mais stoppai aussitôt. Une silhouette plus que familière traversait le parking, un tout petit peu plus loin que moi. Oui, j'avais parlé de pourcentages mais j'ai toujours été nulle en maths. Renonçant à me cacher comme une gamine, je m'avançais vers lui, tentant de chasser de mon esprit mon vilain mensonge, l'appelant de loin.

« Elijah !! »

Je crois qu'au fond, il me manquait... Et puis, ce n'était peut être pas par hasard que j'avais décidé de venir chercher ma nourriture ici, à côté de son lieu de travail, il ne fallait pas sous estimer le pouvoir de l'inconscient.

Voyant Elijah qui ralentissait le pas, je me dirigeais vers lui, fermant au passage la fermeture éclaire de mon blouson, car la nuit déjà tombé, il faisait très froid ce soir. Je me disais que c'était une bonne chose, qu'ainsi aucun de nous ne voudrais s'attarder trop longtemps. Comme ça, je le verrai un peu mais je n'aurais pas besoin de rentrer dans les mensonges à peine crédibles. En arrivant à quelques pas de lui, je vis qu'il me souriait, qu'il était content de me voir. Ma culpabilité n'en fut renforcée, provoquant une sensation désagréable dans ma poitrine. J'étais un monstre, une vilaine petit menteuse, mais il me souriait encore. C'était trop. Je lui rendis un sourire timide mais le sien s'était effacé entre temps. Je fis encore quelques pas, et constatai qu'il me regardait avec froideur, exactement comme la première fois que nous nous étions rencontrés. Je l'avais mérité mais ça me perturbait tout de même. Définitivement, j'aurais dû me cacher derrière ma voiture. Mais le pire était à venir... D'une voix qui ne laissait aucune doute sur le déclin de notre relation, il me tacla avec une ironie mordante. J'inhalais une grande bouffée d'air frais, le souffle soudain court. Je m'attendais à quelque chose du genre, mais c'était quand même violent. Surtout quand je repensais à la façon attentionnée dont il me traitait d'habitude. Mais une fois encore, j'étais la seule que je pouvais blâmer. Je voulus répondre quelque chose, mais ma gorge me brûlait tandis que j'essayais de soutenir son regard. Un frisson qui n'avait rien à voir avec la température ambiante me saisit, et ce fut trop, je détournais les yeux. Ne pleure pas, pauvre idiote...

Je comprenais son énervement, et c'est pourquoi je réunis mon courage pour le regarder à nouveau. Mais c'était lui qui ne me regardait plus. Ce constat n'était cependant pas rassurant, c'était si triste d'en arriver là, de ne plus pouvoir se regarder dans les yeux. Il s'excusa très vite, mais conserva son attitude distante. Je ne lui en tenais pas rigueur, je savais que la méchanceté n'était pas un très de son caractère. Non, je cherchais désespérément quelque chose à dire qui arrangerait un tant soit peu les choses. Mais il était fatigué des excuses, non ? D'une voix que j'espérais assurée, je m'enfonçais toujours un peu plus.

«  Écoutes, je sais que je n'ai pas été très... présente ces derniers temps, mais c'est vrai que j'ai pas mal de travail en ce moment. Pas au point de ne pas pouvoir sortir le soir, cependant, mais quand même. »

C'était nul, incommensurablement nul. Je repartais sur la voie des excuses bidons et le pseudo trait d'humour de la fin n'était définitivement pas à sa place. Toutefois, il y avait malheureusement une part de vrai dans ce que je venais de dire. Mais je ne pouvais pas épiloguer, car je n'avais pas dit à Elijah que Sacha était mon supérieur hiérarchique. Je ne l'avais dit à personne en vrai, j'étais bien trop humiliée et dépassée par la situation. Comme quoi, une fois qu'on se laissait tenter par le mensonge, on avait du mal à en sortir. Mais une chose était sûre : je devais faire mieux, beaucoup mieux.

«  Et je ne veux pas que tu penses que je t'évites à cause de ce que tu m'as raconté cet été. Ça ne change absolument rien à ce que nous avons. Ou avions, je ne sais pas. »

Je venais de mettre des mots sur quelque chose qui me terrifiait. Avais-je gâché en à peine un mois, ce que nous avions construit auparavant ? M'en voulait-il autant que ce qu'il semblait me montrer ce soir ? Je me penchais un peu, pour essayer de croiser son regard. Je crois que je préférais quand il était dur avec moi, en fait. Aussi masochiste qu'était cette pensée, elle était vraie. Je méritais le sarcasme, pas la pitié.

Avions. J’eus un petit rictus involontaire quand elle conjugua ce verbe au passé. C’est affreux comme c’est douloureux. Mais elle semblait hésiter quand même sur ce mot. Au moins, elle avait compris que j’étais en colère contre elle. Même si c’était cette même colère que je combattais depuis son arrivée. Alors quoi ? Pourquoi c’était si dur de déterminer ce que nous étions maintenant ? Je gardais obstinément le regard fixé par terre, je savais qu’elle essayait d’attirer mon attention, mais j’avais trop peur de l’expression de mon visage que pour la regarder en face. Quelque part, je ne voulais pas la blesser tant que ça. Mes mots suivant prouvèrent le contraire, un ton trop sombre :

- Tu dis que tu ne m’évites pas mais c’est ce que tu fais … Et il est fort probable que ce soit à cause de ce que je t’ai raconté…

Du coin des yeux, je la vis se tendre encore plus, si c’était possible et je la regardais. J’avais mal de la regarder parce qu’elle était la seule personne à qui j’avais donné assez de ma confiance pour m’être encré dans l’esprit qu’elle ne me tournerait pas le dos. Nous étions rentrés depuis un mois, et je déchantais déjà. C’était difficile à supporter. Je ne supportais pas ce que je ressentais, ce qu’elle me faisait ressentir. Je pensais m’être débarrassé de ce sentiment de rejet, mais si June refaisait ressortir mes bons côtés elle faisait aussi ressortir des facettes que je supportais difficilement. J’observais ses traits et ça m’était aussi douloureux qu’elle.

- Parce que si ce n’est pas ça… Si ce n’est pas la raison pour laquelle tu me rejettes qu’est-ce que c’est ?

Voilà, on y était. Le rejet. Mais elle ne pouvait pas comprendre, car elle ne connaissait l’histoire. Et cela me faisait d’autant plus rager parce que je voulais qu’elle sache pourquoi ça me faisait si mal et pourquoi j’étais en colère parce que cette fois. J’avais haussé le ton.

Spoiler:

Les êtres humains avaient vraiment de surprenantes capacités pour rester forts, impassibles alors qu'il souffraient. Du moins, c'est ce que je ressentais à ce moment précis, car je restais immobile, silencieuse alors qu'intérieurement mon cœur était en train de se briser. Parce qu'il n'avait pas nié. Quand j'avais émis mon doute à voix haute, il n'avait pas protesté, il avait juste continué ses questions. Et c'était bien son droit mais je me sentais piégée. Surtout qu'il ne semblait pas croire un mot de ce que je racontais. S'il savait à quel point je m'en fichais qu'il se balade dans les rêves des gens en mode Inception... il était toujours mon Elijah. Et j'avais été honorée qu'il partage son secret avec moi, touchée qu'il me fasse confiance, reconnaissante que quelqu'un me dise enfin la vérité... Mais peut être que je ne lui avais tout simplement pas dit et qu'il en avait des conclusions négatives.
Enfin, il avait posé la question. Celle qui était inévitable, mais qui foutrait tout en l'air. Et j'étais coincée, car si je l'esquivais, ça foutrait tout en l'air aussi. J'avais joué, j'avais perdu. Ironie, il me regardait à nouveau, sans doute pour déceler la sincérité ou le mensonge dans ma future réponse. Je n'avais pas manqué de remarquer qu'il s'énervait de plus en plus. Normal, je nous faisais tourner en rond. Je me recroquevillais, essayant de ne rien laisser paraître, mais je commençais à être effrayée par la colère qui naissait sur ses traits torturés.

« Eli...je... je...ne pourrai jamais te rejeter...Ne le prend pas comme ça, laisse moi m'expliquer un peu mieux... »

Je m'arrêtais vite. Je venais de réaliser que je ne savais pas quoi dire. Enfin, je connaissais les options mais je ne savais pas laquelle choisir. Dire la vérité nous fâcherait. Mais mentir aussi. Au fond, peut être que je devrais mentir, en fait. Si je le mettais suffisamment en colère contre moi, il souffrirait peut être pas de notre séparation. Pire, si je lui délivrais un mensonge odieux mais crédible : dire que j'avais développé des sentiments pour lui par exemple. Ça gâcherait ce que nous avions avec la même force que si je disais la vérité et ça ne le ferait pas culpabiliser à propos de son pouvoir. Mais j'étais lâche, très lâche, comme toujours je choisis la solution alternative. On me disait A ou B, je prenais C. Je croisais les bras sur ma poitrine, présageant la suite.

« J'ai fais quelque chose de terrible. Une erreur gigantesque. Et je sais, je suis persuadée que si je te dis de quoi il s'agit.... tu ne le supportera pas. C'est toi qui voudras me rejeter. Et... honnêtement, je ne peux pas supporter ça. C'est pour ça que je t'évite, je suis lâche....»

C'était également un début de confession, car j'avais avoué l'éviter, et commencé à parler de mon secret. C'était un beau discours dans le fond, mais très inutile quand on réfléchissais. Car aussi sincère que soit ma réponse, il voudrait en savoir plus, et ce serait retour à la case départ.

Spoiler:

Au moins, j’étais tombé juste. A ma question, elle s’était recroquevillée. L’air coupable. Coupable de quoi ? Que cachait-elle bon sang ?! « Je ne pourrais jamais te rejeter » Ben tiens. Qu’est-ce que je ressens en ce moment sinon ce sentiment d’être rejeté par une personne à qui je tiens énormément ? Ça aussi je le taisais. Alors que justement j’aurais dû savoir le dire, pour qu’elle le sache. Je ne lui ai jamais dit à quel point elle était importante dans ma vie. A défaut de ne pas savoir utiliser les mots qu’il faut, je risquais de la perdre. Elle croisa les bras sur sa poitrine semblant chercher les mots à dire et les mots à éviter. Depuis quand mesurait-elle ses mots en ma présence ? Elle ne voulait pas que sa confidence me blesse. Mais j’étais déjà blessé. Elle cachait quelque chose… Quelque chose qui devait me faire plus de mal que son rejet. Mais je n’étais pas en état de l’écouter en ce moment précis. Je voyais ce qu’elle cherchait à dire. Mais elle n’osait pas avouer et ce n’était pas ma colère qui allait l’aider à parler.

Je laissais le silence planer pendant que j’essayais d’évacuer ma colère grandissante. Mais je n’y arrivais pas. Pas en la regardant, pas en restant près d’elle. Je grondais alors sans la regarder parce que je me grondais dessus. Je fis demi-tour et m’éloignais brusquement d’elle. Je voulais être à même de l’entendre avec les idées claires. Or mes idées étaient plus que brouillées. J’avais besoin de m’éloigner d’elle le temps de me reprendre. J’avais besoin de retrouver l’Elijah qui n’exprimait rien. Je n’en étais pas capable avec June. Malheureusement, peu après mon départ, j’entendis June se décider à me suivre. Je m’arrêtais brusquement, imaginant qu’elle devait faire de même et d’une voix blême je lui ordonnais, sans me retourner :

- Ne fais pas un pas de plus…

Ca trahissait toute la colère que je ressentais et je n’aimais pas ça. J’étais en colère contre elle et j’étais en colère contre moi. Je restais là, un moment, loin d’elle, lui tournant le dos, le regard fixé sur l’horizon que je ne voyais même pas. Je ne voulais plus être désagréable. Mais elle avait le don de me surprendre quoi qu’il arrive. Qu’importe la situation j’étais toujours pris au dépourvu avec June. Au moins s’était-elle arrêtée. Les mains dans les poches je tentais de me calmer. Silence. Mais c’était trop pesant pour moi, c’était lourd à porter. Alors je me retournais vivement et fonçais droit sur June. Je lui saisis le menton pour plonger mes yeux dans les siens :

- Je n’aime pas perdre le contrôle et là, je l’ai complètement perdu. Je ne peux pas t’écouter parce que je suis en colère contre toi. Je voudrais pourtant, mais je ne peux pas. Je me sens rejeté et je n’aime pas ça, j’avais proscris cette sensation de ma vie et je t’en veux de faire ressortir tout ça chez moi, autant que je te suis reconnaissant de faire de moi quelqu’un de vivant. Mais comprend quelque chose, je ne peux pas te rejeter parce que j’ai besoin de toi, parce que tu… tu es… importante. Et si ça m’arrache la bouche de le dire c’est parce que je ne suis pas capable de parler de ce que je ressens et de ce que les gens sont pour moi. Alors quoi que tu aies fait June, sache que je ne te rejetterais pas. Je n’en suis pas capable. Mais je ne suis pas capable non plus de supporter les sous-entendus, les insinuations et autre chose du genre… Alors parle ou va-t’en ou… ou faisons autre chose mais arrêtons de tourner autour du pot.

Je la retins encore un peu, sans me rendre contre que ma main avec cette poigne pouvait lui laisser des marques. Je ne quittais pas ses yeux tout de suite pour être sûr qu’elle enregistre le message. Puis ma main se desserra, glissa sur sa peau comme une caresse pendant que mon regard même s’adoucissait. Mes yeux aperçurent les traces plus sombres sur sa peau, là où je l’avais maintenue l’ombre de la nuit m’indiquant qu’il ne s’agissait que de traces rouges mais j’ignorais s’il y aurait marque ou pas. Je fis un pas en arrière, ça y est, je m’en voulais.

- Je… Je suis désolé, je… Je ne voulais pas…

Je continuais de reculer et au fond, maintenant, c’était moi le lâche. Parce que je m’apprêtais à tourner les talons et à fuir.

Spoiler:

De manière prétentieuse, j'avais pensé pouvoir prévoir les réactions d'Elijah. Autant dire que j'étais très loin de la vérité. Alors que je pensais que mes débuts de confessions allaient l'apaiser un tant soit peu, et entraîner d'autres questions, il avait la réaction contraire à celle que j'escomptais. Il était en colère, même très en colère. J'avais déjà vu son visage adopter un air dur, mais jusqu'à maintenant, cela avait toujours été très furtif. Là, il ne réprimait pas du tout ce qu'il ressentait...Et savoir que j'étais la raison de cette colère soulevait en moi, un flot d'émotions indescriptibles, qui allaient de culpabilité, à tristesse, en passant par honte. Malheureusement, une émotion plus forte avait pris le dessus : j'étais à mon tour en colère. D'accord, j'avais fais une erreur, mais maintenant que j'essayais de la réparer, pourquoi ne me laissait-il pas faire ? Tout devait donc se rapporter à lui ? Je savais que c'était légitime pour lui de se mettre en colère, mais étrangement, je n'arrivais plus à suivre la voie de la raison. C'est pourquoi, quand il me tourna le dos, comme s'il ne pouvait plus supporter ma vue, je lui emboîtais le pas, déterminée. Moi qui avait fui la confrontation; je la recherchais ardemment désormais. Mais une fois que je m'étais rapproché de lui, malgré son interdiction, je devais bien avouer que je ne savais pas par quel bout commencer. Il y a avait désormais tant à régler entre nous...

Involontairement, il avait mis fin à mon dilemme, venant à nouveau vers moi, me regardant enfin dans les yeux, maintenant mon visage près du sien, me gratifiant d'un long discours. Je crois qu'il ne m'avais jamais dit autant de mots à la suite, et cela me fit réfléchir. D'autant plus, que chaque mot sonnait comme affreusement sincère. Puis, il fit un pas en arrière, disparaissant à nouveau dans l'obscurité, me laissant quelque peu abasourdie. Mais je n'avais pas le temps de trop réfléchir, je devais agir à nouveau spontanément et arrêter de peser le pour et le contre de chacune de mes actions. Je ne voulais pas de ses excuses, non, parce que je n'étais pas en colère. C'était tout le contraire. L'intensité des dernières secondes avaient eu le mérite de me faire revenir sur terre, et de me rappeler combien le mensonge et les faux semblants pouvaient heurter les gens. Je l'avais trop vite oublié. Ma colère momentanée avait disparu mais le désir de se battre pour nous ne s'était pas éteint. Je le poursuivis une nouvelle fois, et à mon grand soulagement, il ne protesta pas aussi violemment que tout à l'heure. Je commençais à dire tout ce qui me passait par la tête, voulant qu'il s'arrête de lui même. Sinon, je le poursuivrais encore, ce n'était pas un problème pour moi.

« Ça m'est égal que tu sois en colère contre moi, ça m'est égal que tu n'arrives pas à dire ce que tu ressens...Je t'apprécie de cette façon. Je suis ton amie, Elijah, et ça, ce n'est pas quelque chose que je suis prête à modifier. Et d'accord, j'ai agi stupidement ces derniers jours, mais c'est également parce que tu es important pour moi. J'ai l'impression de t'avoir trahi, et ça, c'est quelque chose que je me pardonne pas. Mais je vais parler, je vais te dire la vérité et après, tu feras le choix que tu voudras. Juste avant, laisse moi te dire une dernière chose : quelque soit la raison pour laquelle tu te blâmes, tu devrais arrêter maintenant. Tu vaux bien plus que ce que tu penses et n'importe qui est capable de s'en rendre compte... sauf toi... »

Oui, ça sonnait comme des adieux. Mais j'avais l'intime conviction que malgré tout ce qu'il m'avait dit, j'avais fais une des rares choses qu'il ne serait pas apte à pardonner. Demander un pouvoir alors que lui souffrait chaque jour du sien, c'était vraiment quelque chose de stupide. Enfin, au moins, il m'avait dit qu'il m'aimait à sa façon, et c'était là quelque chose auquel je pourrais me raccrocher quand il me virerait de sa vie, ce que je méritais amplement. Je m'autorisais un dernier geste de lâcheté, peu pressée de voir ses traits se déformer à nouveau sous la colère. Je franchis la distance qui nous séparais, posant ma tête sur son épaule, l'enlaçant dans mes bras, car j'étais à cours de mot. Savourant quelques instant seulement cette brève étreinte que je lui imposais, je finis par le relâcher, pour enfin accéder à sa demande. Restant près de lui, je lui avouais enfin la vérité; le regardant dans les yeux.

« J'ai... j'ai aussi un pouvoir maintenant. Le dealer de pouvoir m'en a donné un... Parce que je lui demandé.  »

Les derniers mots avaient été les plus difficiles, et maintenant, j'attendais la sentence, bien que je songeais sérieusement à fuir à mon tour.

Spoiler:

Je me renfrognais, pas à cause de la colère mais parce que je me sentais coupable. Je repartais me cacher derrière mon masque. Ma colère s’étant assez dispersée, je reprenais le contrôle de mes expressions. J’écoutais son discours et plus je l’écoutais, plus je me renfrognais. Je tiquais le mot « amie » et sur la dernière phrase. Je baissais la tête réfléchissant à ce qu’elle venait de dire. Jusque-là, je n’avais pas franchement percuté que j’allais envie savoir ce qu’elle me cachait. Puis sans que je ne la sente venir, elle vint se blottir contre moi. Je restais très raide dans cette étreinte parce que ce n’était pas dans mes habitudes. Je tournais la tête pour essayer de l’apercevoir mais elle avait enfouis son visage dans mon épaule. Et alors que je me décidais à lui rendre son étreinte, elle se dégagea doucement sans trop s’éloigner et me regarda pour me faire son aveu.

Je vous avoue pour le coup, je ne l’ai pas vu venir celle-là. Bizarrement, je n’étais pas en colère. Ou logiquement peut-être. J’étais plutôt choqué. Je n’étais en fait pas sûr d’avoir bien entendu. Mon étonnement se lisait clairement, interdit, je plongeais mes yeux dans les siens. J’attendais le moment où elle sourirait et qu’elle me dirait que c’était une blague et qu’elle m’avait bien eue. Mais ce moment ne venait pas. Plus je comprenais ce que ça signifiait, plus mes sourcils se froncèrent et moins je comprenais son geste.

- Qu’as-tu fais June… Pourquoi ?

Ce n’était pas pensable. Ni concevable. Pour quelle raison avait-elle pu faire ça ? Je comprenais pourquoi elle m’évitait. Elle savait que cette histoire ne me plairait pas. Elle n’avait pas seulement un pouvoir, elle l’avait demandé. Et ça changeait tout. Enfin non, ça ne changeait pas grand-chose, mais je ne comprenais pas pourquoi elle l’avait désiré. Puis je détournais les yeux, puis me détournais complètement. Je me passais une main sur le visage et je tentais d’éclaircir mes idées. Je n’aimais pas l’idée que cette annonce me faisait d’elle.

- Pourquoi tu as fait ça June ?

Ma voix était tout ce qu’il y a de plus neutre et je ne le regardais pas, lui montrant ostensiblement mon profil.

Ma confession enfin faite, je pensais ressentir un peu de soulagement mais ce n'était pas le cas, à mon grand désespoir. A ce moment précis, je me sentais comme une gamine immature qui avait fait une grosse bêtise et qui ne s'en rendait compte que quand elle était face au conséquences. Car c'est seulement que je vis l'incrédulité d'Elijah, que je l'entendis me demander pourquoi j'avais ça, à deux reprises. Il avait beau avoir repris son masque de froideur, je me doutais que cette annonce provoquait une certaine émotion en lui. En fait, c'est précisément ce que je ressentais depuis que j'avais eu le pouvoir mais il était trop tard pour reculer, n'est-ce pas ? Je lui devais des explications même si les excuses que je pouvais me trouver ne tenaient pas vraiment la route. Le seule avantage que je trouvais à l'effet de ma confession, c'est qu'il fuyait mon regard à nouveau, ce qui ferait une pression en moins quand je me noierai dans les explications vaseuses. D'ailleurs, ça commença très vite.

« Ce n'est pas une excuse mais j'étais bour... bouleversée ce soir là. Je me sentais mal, vraiment. » Je ravalais ma salive avec difficulté. J'avais failli dire '' j'étais bourrée '', ce qui aurait été une nouvelle erreur capitale. D'après ce que j'avais vu, compris et deviné, Elijah avait un rapport compliqué avec l'alcool... « Tu sais, après ce que tu m'as révélé... J'ai remis pas mal de choses en question, j'étais plutôt mitigée par rapport à tout ça... Ce type s'est assis à côté de moi, on a commencé à discuter, et... voilà de fil en aiguille je me suis confiée à lui. A la fin, il m'a demandé si j'en voulais un, si ça m'aiderait à me sentir mieux et j'ai pas réfléchi, j'ai dis oui. »

Je n'avais pas dit le mot. Je me rassurais en me disant que c'était une précaution parce que nous étions dans un lieu public mais la vérité était sûrement un peu plus complexe. Je crois que je bloquais psychologiquement là dessus. Le dire rendrait les choses encore plus réelles. Et Dieu sait que je n'avais pas encore réalisé l'ampleur de ce geste. Même si mon nouveau don n'était pas aussi spectaculaire que celui d'Elijah, il pourrait changer ma vie à terme.

« Je sais à quel point ça paraît mauvais, mais ce ne l'est pas tant que ça. Vraiment. Même si avec le recul, je ne suis pas fière de moi. »

Cette introspection à voix haute m'était pénible mais j'aurais fait n'importe quoi pour revenir dans les bonnes grâces de Mister Hopkins. Essayant diverses méthodes, j'adoptais un air bravache, haussant le ton à mon tour.

« Je paris que maintenant, tu regrettes d'avoir dit que tu ne me rejetterais jamais... »

Il y avait des phrases à ne pas dire. Des phrases que je ne pouvais pas comprendre et qui m’apprenaient que June l’avait désiré, que ça lui plaisait. Je ne peux pas comprendre ces phrases. Je n’ai jamais n’ai demandé à personne de devenir insomniaque, j’ai demandé à personne de voyager dans les rêves des gens, ce n’est pas un don que j’ai, c’est un poids. J’ai accès à des choses que je ne voudrais jamais savoir, je connais des secrets qui ne devront jamais être dévoilé. Et ce n’est pas joli. June sait que je ne supporte pas mon pouvoir, elle sait que Ian en possède un et qu’il est dévastateur. (Non, je ne suis pas au courant que ça a changé). Pourquoi en voulait-elle un ? J’eus un petit rictus mauvais :

- Pour te sentir mieux…

Je me tus, relevais la tête pour trouver que chose à fixer, à regarder quelque chose de loin. J’observais des gens dans le restaurant qui mangeaient. Je me concentrais sur ça pendant qu’elle expliquait la suite. Qu’elle se perdait dans ses explications qui ne servaient pas à grand-chose, parce que le mal était fait comme on dit. J’entendais chaque mot et j’ignorais que mon corps pouvait se raidir à ce point. Ma mâchoire m’en faisait presque mal. « Je parie que maintenant, tu regrettes d'avoir dit que tu ne me rejetterais jamais... » Je tournais automatiquement ma tête vers elle. Elle avait pris un air bravache et me défiait quelque peu. Mais me défier de quoi ? Je la regardais durement.

- Tu ne comprends rien du tout…

En plus elle essayait de me faire entendre que ce n’était pas si mauvais que ça. Elle y croyait. Je le voyais clairement dans ses yeux. Et c’était incompréhensible. Pour moi.

- Eh bien félicitation June… Tu fais à ton tour partie des monstres…

J’hésitais à partir. Je regardais ailleurs puis je me décidais. Je commençais à partir. Je fis quelques pas, oh deux trois puis je me retournais vivement.

- Je peux pas ne plus jamais te revoir, je ne peux pas te rejeter je te l’ai déjà dit. Mais là, c’est trop d’un coup. Je ne peux pas comprendre ce que tu as fait…

Puis je commençais à faire les cents pas mon poings devant la bouche. Ça se bousculait dans mon esprit. J’étais partagé entre l’envie de fuir et de retourner près d’elle pour la secouer. Je ne le regardais pas, j’étais trop absorbé par cette histoire.

- Tu l’as désiré June… c’est… incompréhensible.

En fait, j'avais une résistance limitée. C'est ce que j'étais en train de découvrir tandis que j'étais en train de subir la sentence la pire de toute à mes yeux : le jugement d'Elijah. Encore, il pouvait bien être en colère contre moi, c'était à quoi je m'attendais. Mais, le mépris, c'était quelque chose de bien plus blessant. Je n'avais pas bougée depuis une bonne dizaine de minutes, j'étais tétanisée. Cela ne m'empêchait pas d'entendre chaque mot et de le ressentir de plein fouet. D'ailleurs, j'avais tressailli quand il avait dit le mot monstre. A ce moment là, j'avais baissé les bras. Il n'y a plus rien que je pouvais faire. Même si je brûlais de lui dire qu'il était loin d'être un monstre, qu'on était loin de l'être, ça ne ferait rien avancer. La vérité, c'est que j'avais trahi, ou du moins, c'est comme ça qu'il le sentait, et tout ce que je pourrais lui dire, sonnerait comme de la pure démagogie. Alors je subissais, car de toute façon, le défier n'était clairement pas la meilleure des solution. Mais y avait-il vraiment une solution à ce stade là ? Tandis que je me perdais dans ce magma de sentiments personnels, il faisait mine de s'en aller à nouveau, revenant tout de suite après pour m'accabler de reproches.

« Tu l’as désiré June… c’est… incompréhensible. »
« Peut être parce qu'il n'y a pas grand chose à comprendre Elijah... »

En fait, j'avais l'explication, mais je ne lui donnerai certainement pas. J'avais toujours pensée notre amitié bénéfique, mais en le voyant me fixer aussi durement, mes certitudes se délitaient. Dans notre duo si atypique, j'étais celle qui apportait la bonne humeur, faisant le clown en permanence, la vérité, c'est que je divertissais Elijah. Et je me complaisais dans ce rôle vraiment, parce que sans que ce soit forcément rationnel, j'aurais tout fait pour qu'il m'aime autant que je l'aimais. Le problème résidait que parfois, moi aussi, j'avais un accès de déprime, comme ce fameux soir, et parfois, j'avais besoin de ne penser qu'à moi, de ne pas me sentir banale. Je m'étais rendue compte de cela, il y a peu de temps, quand une de mes amies, Ismaelle avait écrit sa thèse de psychologie uniquement sur moi. Faible estime de soi, besoin d'amour, sentiment d'abandon très développé, altruisme exacerbé, elle ne m'avait pas épargnée. Même si j'avais été en colère contre elle, je devais bien reconnaître qu'elle avait raison dans le fond. Mais j'aurais préféré mourir plutôt qu'avouer à voix haute combien j'étais pathétique. Spécialement en ce qui concernait Elijah, je crois bien qu'il suffisamment déçu comme ça. Et comme dans toute bonne dispute qui se respecte, j'argue, sans faire avancer les choses.

« Et pour te répondre, c'est exactement ce que tu es en train de faire : me rejeter. Et le pire, c'est que je ne peux même pas t'en vouloir... Ne pas ne plus jamais me revoir ! C'est un vœu pieux ! A quoi ça sert qu'on se revoit s'il y a ça entre nous ? Ça sera comme s'il y avait toujours un éléphant dans la pièce maintenant, cette histoire se mettra en permanence entre nous. Être ensemble sera une souffrance, et je crois qu'aucun de nous deux deux ne veut d'une relation comme ça. Mais dans l'histoire, je suis la seule responsable, non ? C'est donc à moi de te faciliter les choses... »

A mon tour, je tourne les talons. J'aurais du le faire avant, car il aurait mieux fallu qu'il soit torturé par mon silence plutôt que par ma révélation,. Je l'avais deviné depuis le début, mais j'avais été faible, j'avais espéré que ça passerait mieux que ça. A tort. Car à l'évidence, tout ce que je disais, et tout ce que je disais pas semblait l'énerver toujours un peu plus. Cependant, comme lui, j'ai du mal à partir, et ma conscience proteste déjà bruyamment contre ma lâcheté et tant d'autres choses. Je me retourne, ne voyant que son profil, peu éclairé.

« Et crois moi, je suis désolée d'avoir tout gâché à tes yeux. »

Je reprends ma marche, cherchant ma voiture dans un état second. Je n'avais plus vraiment faim.

Je ne sais pas ce que je dois faire, comment réagir. Je ne sais pas comment la retenir. Je ne sais pas ce que je veux faire. Et pourtant je dois avoir tort dans l’histoire parce que justement, je ne sais pas. Mais je n’ai pas encore les idées assez claires pour savoir. C’est vrai, elle a raison, je suis déçu. Je ne comprenais pas pourquoi elle se sentait si banale à côté de nous. Nous sommes des bêtes de foire, si le monde entier savait, nous serions observé, on nous soumettrait à des expériences, on dissèquerait nos cadavres une fois mort. Et même sans ces pouvoirs, je peux affirmer que June n’a rien de banale. C’est un mot qui n’entre pas dans la liste de ce qui qualifie June. Mais la liste, ce n’est pas à moi que je dois la répéter, c’est à elle. Mais pas ce soir. Parce que ce n’est pas possible ce soir. Je l’écoutais sans rien dire, sans la regarder. Que rajouter ? Pourquoi la regarder ? Je n’aimerais pas qu’elle voit ce qui se dévoile dans mon regard. Car c’est exagéré.

« C'est donc à moi de te faciliter les choses... » Et là je lui jette un regard en coin. Elle tourne les talons et s’en va. Et le pire, c’est que je ne fais rien. Je ne bouge pas, aucun son ne sort de ma bouche. Aucun muscle semble vouloir ne serais-ce que me tourner vers elle. Je la regarde s’éloigner et je ne réagis pas. Alors je finis par détourner le regard parce que je n’arrivais pas à la regarder partir. C’était plus facile de regarder ailleurs. Lâche également. C’est à ce moment-là qu’elle décide d’ajouter une dernière chose. Ca me glace le sang, le corps. Je ne voulais pas en arriver-là. Mais en fait, j’étais le seul dans l’histoire à avoir tout gâché. Je n’étais pas le genre d’amis qu’on pourrait souhaiter, capable d’écouter, mais incapable d’aider, de réconforter comme il se doit. Incapable de parler de son ressenti, incapable de parler de son vécu. Le genre d’amis que vous devez vous-même découvrir sans qu’il ne daigne vous aider à l’apprendre. Et pourtant, j’avais appris tellement de chose sur June. Je pouvais dire que je la connaissais, en tous cas, plus qu’elle ne me connait. Je n’arrive pas à… Parler. Ce n’est pas… Facile. Et pourtant, je lui faisais confiance. Bien plus qu’à n’importe qui. Mais visiblement ce n’était pas assez. En même temps, les amitiés à sens unique ne fonctionnent pas. Pas longtemps du moins. Je sens son regard, elle se détourne et ses pas finissent par l’éloigner de moi. Doucement, je marmonne sans savoir si elle m’entendrait :

- Moi aussi je suis désolé… D’avoir tout gâché.

Peu après, j’entends sa voiture démarrer, les phares s’allument, les pneus crissent dans les graviers et très vite, elle disparut. Je relevais la tête pour regarder les lumières rouges des feux arrière disparaitre dans un tournant. Puis à mon tour, je m’en vais. Ce don j’ai envie, ce n’est certainement pas d’une infusion de thé, d’un massage relaxant, d’un soft. Ce que je désire en ce moment est bien trop contraire à mon traitement… Résistons.